La rencontre autour de cette problématique a débuté par une série de questions : la question de l’outil d’abord (comment mesurer cet impact ?). Mais surtout, la question du pour quoi (est-ce qu’il s’agit de juger de la valeur de ?). Et puis, après la question du pour quoi, vient celle du pour qui ? (Qui va utiliser cette évaluation ? Est-ce plutôt une étude pour les citoyens, usagers, contribuables, ou pour les décideurs ?). Par exemple : ici, dans la salle, parmi les personnes qui étaient présentes, on s’est posé la question de qui était là juste pour soi (se convaincre soi-même) et qui voulait convaincre d’autres personnes, et la réponse était claire (mais par contre, qui d’autre ?).
Bref, une belle entrée en matière autour de toutes ces questions qu’il faut se poser lorsque l'on parle d’évaluation du design d’innovations publiques !
Innovation publique et design : de quoi parle-t-on ?
Pour faire comprendre et découvrir l’intérêt d’adopter une démarche “Design” dans la conception de politiques publiques, la 27e Région a récemment élaboré le petit guide pratique sur les grands principes de l’innovation publique par le design. Ils sont au nombre de six :
1- Le design utilise des méthodes de conception sur mesure, co-construites et adaptées au contexte.
2- Le design mêle différentes disciplines : pour traiter efficacement d’un sujet, il faut des regards variés, et donc utiliser une approche pluridisciplinaire (par exemple : sociologie, paysagiste, architecture, numérique, théâtre …)
3- La démarche design est participative et itérative : elle combine diagnostic, scénarisation et tests (avec des aller-retours entre ces phases).
4- Les niveaux de finition des livrables peuvent varier selon le projet/les attentes du commanditaire et les moyens disponibles. On ne livre pas toujours la même chose à la fin d’une mission : cela peut prendre la forme de visuels/productions imagées ou de prototype opérationnel, tout dépend du type de demande.
5- La démarche suit une logique de transfert de compétences et d’implication des personnes concernées. Exemple donnée par la 27e Région : ils ont réalisé un travail sur les politiques jeunesse de la Mission Locale, en formant les jeunes à être des apprentis journalistes et à enquêter eux-mêmes sur les dispositifs que leur offrent les institutions en interviewant les agents.
6- Une démarche globale et systémique la plus en amont et la plus en aval possible. Il est par exemple intéressant de réinterroger la commande politique sur ce que l’on est en train de faire lorsqu’on le fait, et d’utiliser un design qui soit présent dans les comités et pas simplement dans les derniers maillons de la chaîne. Et de nombreux designers de services essayent aussi d’être dans la mise en œuvre, c’est-à-dire de ne pas s’arrêter au prototypage.
A côté de cette théorie, il y a l’expérience terrain des designers, qui eux mettent en place cette démarche et ces principes dans leurs projets. Julien, designer, nous a par exemple parlé du projet «La Transfo» de la 27e Région. Le but : passer un an et demi d’expérimentation en partenariat avec une collectivité pour créer une cellule d’innovation dans la collectivité. Une des choses produite dans ce cadre : une montée en compétences des agents avec les outils que l’équipe de la 27e Région leur transfère. Un réel savoir-faire leur est donc donné, qui passe par la fabrication manuelle d’éléments en volume, le fait d’aller enquêter sur le terrain pour recueillir des expériences d’usagers, mais aussi la capacité à avoir des idées et à les raconter, c’est-à-dire des compétences qui sont généralement sous-utilisées et que l’on révèle par cette démarche.
Ce qui est intéressant : le programme créer une transformation dans les manières de travailler. On travaille en groupe et ce qui est frappant c’est de voir à quel point les agents se rendent compte de la puissance de ce travail en groupe. Il est parfois très dur après la mission pour certains agents de revenir dans leur collectif car ils ont vu jusqu’où on peut aller en travaillant en groupe intelligemment.
Pourquoi et comment évaluer l’impact du design sur l’innovation publique ?
Selon Hélène, l’enjeu de l’évaluation est bien d’améliorer le service public et de vérifier son adaptation aux besoins des usagers. Elle s’est ainsi interrogée sur les différents sujets liés à l’innovation publique par le Design qui pourraient faire l’objet d’une évaluation :
*L'expérimentation et son efficacité : la collectivité a osé tester quelque chose avec cette démarche, et peut-être aussi à se tromper. Mais est-ce que « cela a pris » ? Les agents, usagers, parties prenantes ont-ils joué le jeu ?
*L'intuition/la créativité : Ce qui a été imaginé correspond-il bien aux besoins des usagers ?
*Le renouvellement : Comment la démarche amène-t-elle à renouveler l’action ? A-t-on réussi à faire sortir quelque chose de nouveau ?
* Le « faire » : c’est à dire se poser la question de l’efficience de l’innovation publique. Par exemple ceux qui n’ont pas le privilège/monopole de la parole ont-ils pu s’exprimer et participer ? Ces profils ont-ils été touchés par l’approche design ?
*Le réenchantement : les agents ont-ils repris du pouvoir d’agir grâce au design ?
Néanmoins, certaines questions portant sur l’évaluation restent ouvertes :
Sur l’efficience : Quel est le bon dimensionnement de l’intervention design ? Au niveau de la composition de l’équipe : il faut qu’elle soit multi compétences certes, mais qui prend-on ?
Sur la cohérence : Peut-on être à la fois cohérent et disruptif ?
Sur l’impact : La démarche design produit-elle vraiment du changement/comment écrire des théories de l’action quand il y a une part d’improvisation comme dans le design ? Comment aussi capter et valoriser ce qui se passe « hors champs » c’est-à-dire ce qu’on a du mal à capter, comme la transformation des méthodes de travail, dont l’impact est fort ?
Un exemple d’évaluation
Emmanuel RIVAT, directeur de l’Innovation et cofondateur de l’agence PHARE, nous a donné un exemple de projet qui consistait à évaluer une approche design pour une politique publique à La Réunion. Le sujet de cette approche : comment, sur un territoire complexe (avec notamment un taux de chômage élevé) et fragmenté (avec peu de transports en commun par exemple) les jeunes peuvent-ils être mieux orientés et informés ?
L’équipe a d’abord observé un décalage important entre ce que les jeunes aimeraient faire et ce que proposaient effectivement les acteurs publics. La démarche design visait ainsi à reconnecter les jeunes et les pouvoirs publics. Elle a été divisée en 3 temps :
*un diagnostic avec les jeunes sur leurs pratiques
*des ateliers de co construction de maquettes avec des jeunes et des élus
*des ateliers d’appropriation de ces maquettes pour que les pouvoirs politiques puissent se les approprier puis les déployer.
L'approche design a eu pour but ici de montrer que les jeunes voulaient d’abord des aides pour s’informer, et ensuite s’orienter. Deux maquettes ont ainsi été réalisées : une pour revoir le site internet, et une pour créer une caravane qui soit un guichet unique mobile sur le territoire et qui permette de toucher des jeunes éloignés de tout. Là-dessus, deux freins sont néanmoins apparus :
-Même si la démarche aboutissait à du maquettage, la distribution de la parole n’était pas équitable : les acteurs publics reprenaient la main avec leur expertise, et les jeunes n’avaient que peu d’influence sur le produit fini
-Là où l’impact du design est finalement faible, c’est dans la manière dont il redéfinit les rapports en interne ou vis-à-vis des parties prenantes. La difficulté vient du fait que l’on ne questionne pas systématiquement le fond de l’organisation, ou que l’on ne s’assure pas toujours que les idées et le travail produits par les différentes parties seront effectivement réexploités. Dans le cas de la mission à La Réunion, tous les acteurs étaient en concurrence sur la définition de ce que devait être ce nouveau service pour les jeunes, avec des personnes plus ouvertes, et d’autres qui voulaient simplement faire rentrer la demande des jeunes dans l’offre déjà existante.
En guise de conclusion et d’ouverture à la réflexion Emmanuel RIVAT a appelé les acteurs de l’innovation publique à intégrer l’évaluation tout au long de la démarche de design de services et non pas uniquement à la fin du processus.
A ce sujet, retrouvez aussi l'article de la 27e Région : "pourquoi évaluer les démarches d'innovation publique par le design ? "